III.
On a volé pendant bien plusieurs heures, avec pour chacun comme seule compagnie leur dragon, quand enfin la pluie s’arrête pour laisser la place à un ciel nuageux. De longs champs entrecoupés de villages et de bois s’étendent à mes pieds. C’est vraiment beaucoup plus peuplé que chez nous !
“Ici Mofaro, ordre d’atterrissage de Adelmire. Plein est, grand bosquet le plus proche de nous, visuel supposé de la part de tous. Dans deux minutes environ, piqué en courbe parfaite. Raison, pause déjeuner, halte pour se reposer ainsi que les dragons. Stop.”
Mofaro est l’exact opposé de Adelmire. Ce dragon est malpoli et de détaille jamais sa pensée, il effectue toujours à la lettre les ordres. Jamais rien ne peut le détourner de son idéologie, et cette peste n’hésite jamais à insulter les autres, de son habituelle cynique manière. Je la déteste véritablement.
“Ici Lalyby, pour une protestation de la part de Bly. Il signale qu’il y a la capitale du pays pas loin à l’est, on devrait facilement y trouver de quoi manger ainsi que de quoi abreuver nous dragons sur les bords du lac. Je laisse aux directives de Adelmire décider de notre marche à suivre.”
Bly a décidé de résister à Mofaro ? Intéressant. Mais cette protestation ne risque pas d’être validée, connaissant le dragon, ou si elle l’est, ce serait véritablement impressionnant, ou bien Adelmire aura fait interférence.
“Très bien,” dit la voix de Mofaro “Adelmire accède à la demande et l’approuve. Mais Lalyby devra donner les instructions de vol, je ne connais pas cet endroit.”
Eh bien, impressionnant. Ce que je pensais être impossible s’est produit juste devant moi. Mofaro vient juste de changer d’avis. Mais je ne sous-estime pas l’interférence de Adelmire, évidente. On continue ainsi de voler plus loin comme le soleil atteint le zénith. S’étendent sous nos pieds des champs à perte de vue, et comme on arrive vers l’est, un large tapis urbain, à côté d’un fleuve et d’un grand lac. La ville qui s’étend est beaucoup plus grande que la capitale des dragonniers, bien plus tentaculaire, et s’étendent, en tant que conurbation sûrement, tout autour du lac et des fleuves qui en sortent. C’est la plus grande ville au monde, et elle n’usurpe pas son titre. Comme on descend vers une berge du lac non urbanisée, le bruit constant commence déjà à se faire entendre. On commence à voir les nuées de personnes agglutinées dans les rues des villes et des détails dans les toits des maisons, révélant des cheminées nombreuses par bâtiment.
On atterrit enfin dans ce coin plutôt calme des bords du lac, où on laisse les dragons. On ne peut pas les emmener dans la ville, ce serait véritablement problématique comme les personnes nous reconnaîtraient immédiatement comme des étranges. Sans eux, ce sera peut-être moins évident. Il fait chaud, beaucoup plus chaud que chez les dirigeants à la même heure, alors que pourtant le sol est humide. On va vers les murs de la cité et on les traverse, pour arriver dans la foule. On n’entend pas parler notre langue, et le bruit constant est envahissant. On suit la masse de gens déambulant dans la ville en essayant de rester groupés. Il fait plus chaud dans le cœur de la ville que dans l’extérieur, une chaleur plus qu’étouffante.
Sur les côtés, des bâtiments construits en terre cuite s’alignent, aux toits plats. Il y a des escaliers qui mènent au toîts où on entre dans des maisons, en côtoyant les cheminées de celles du bas. Sur le niveau final de chaque bâtiment un toit en tuiles de terre cuite orne ces maisons, mais sur les toits-terrasse se trouvent parfois quelques petits commerces, identifiables grâce à un auvent de toile et de bois. Bly nous affirme qu’il n’y a pas que ces enfers avec des bâtiments en toit-terrasse dans la ville, c’est parce qu’on est dans un quartier avec des minorités venant du nord.
On repasse encore un portail et c’est presque une ville différente qui s’offre à nous. Les rues pavées plus faciles à marcher dessus que les routes de terres précédentes forment la démarcation entre d’imposant bâtiments construits en terre cuite, chaume et bois, aux toits en tuiles canal orangées. Les routes deviennent tout de suite plus aléatoires et ainsi la foule se disperse dans les coins de la ville. Des écriteaux pendent des côtés des bâtiments, indiquant tel ou tel commerce, mais on les ignore comme on suit Bly, sûrement un fin connaisseur de la ville. Comme on continue à naviguer entre les rues étroites de la ville, on débouche soudain sur une assez grande place, surplombée par, sur une colline, un château. Tous les panneaux restent incompréhensibles mais Bly nous indique qu’on est dans la Place Royale, avec le château de l’empereur juste à côté. Il nous demande ensuite de rester sur la place comme il entre dans un commerce.
“Cette ville est magnifique !” s’écrie soudain Kain “Elle n’a rien à voir avec Kundaln ! Elle est beaucoup plus grande et dynamique !
– Moi je la trouve étouffante.” dit Adelmire “L’air est trop chaud et il y a trop de monde.
– Mais après toi tu viens des montagnes, alors je ne veux pas dire…
– Moi je trouve son ambiance assez spéciale, et variée.” ajoute Jason “On a ici une ville assez paisible, soyons honnêtes il y a tellement de rues que la foule est obligée de se diviser énormément, et une ville super-dynamique dans le quartier par lequel on est entré dans la ville. Je suis sûr qu’elle est tellement variée qu’il y a un endroit pour tous les goûts. Souvenez-vous de l’endroit où on a atterri !
– Oui il y avait des petites communautés, et ça ça me plaisait.” avoue Adelmire.
– C’est bon, j’ai notre déjeuner !” annonçe Bly comme il revient d’une boulangerie.
Il a dans ces mains un panier avec du pain, mais très étrange. D’abord, il était sculpté de façon fine et longue, ce qui est étrange, et de plus, le pain est d’une bizarre couleur jaune-orangée. Où sont mes boules de pain noir ? Quel est ce pays pour pouvoir rater de la nourriture aussi facile ? Je ne suis pas le seul à avoir un recul, un certain dégoût. Même Izei, pourtant celui qui va toujours être le premier à tester les trucs étranges a mis un pas en arrière.
“Ne vous inquiétez pas !” tente de nous rassurer Bly “C’est un pain différent mais je vous assure qu’il est bon ! C’est du Nalbaro, un pain traditionnel d’ici, et c’est très bon, en tout cas plus pratique que les Boules de Pain Noir pour la consommation.”
Comme pour illustrer ses propos, il arrache un bout de la Nalbaro et le mange, et exagère sa réaction positive. Il en arrache un autre et nous le tend. Mais c’est que ça sent bon ce truc ! Alors que je commence à lever mon bras, Izei s’en empare d’un bout et commence à le manger. Comme Bly nous tend d’autres morceaux, Izei s’improvise critique culinaire :
“Hmm, il y a un bon équilibre des textures. La croûte croustillante et lisse contraste avec la douceur de la mie. Le goût est moins salé que le Pain Noir mais gagne en richesse sur les autres goûts, notamment en umami. La cuisson de la pâte est très bonne et la forme de ce pain permet de plus facilement donner aux amateurs de croûte. J’aime.”
Izei a raison, ce pain est très bon. Il a beau être repoussant mais il sent bon, et son goût est encore mieux. Je préfère le Pain Noir, mais alors celui-ci devient immédiatement l’un de mes favoris. Et il est super pratique pour la consommation, avec sa forme longue à déchirer.
On déjeune donc en utilisant ces bons Nalbaro puis, avant qu’on ait le temps de se perdre dans la ville, on revient vers nos dragons, qui semblent avoir attiré l’attention de quelques personnes qui s’en sont rapproché.
“Ils avaient l’air sympathique, alors on a demandé à Lalyby de leur demander de venir.” raisonne soudain la voix de Zeir “Et on avait raison. Ils sont mignons à nous regarder avec leurs yeux de merlan frit !
– Bah au moins vous vous êtes occupés pendant notre absence, vous ne vous êtes pas ennuyés ! Ça s’est bien passé sinon ?
– Tout bien. Mais Grand Tszakraln ! Cette eau est super bonne pour se baigner et pour boire ! Elle est chaude, douce et bonne. Je l’adore ! Il faudrait construire une Dragonnerie ici !
– Si seulement c’était possible… Moi j’ai goûté à un type de pain succulent. Ça change du pain noir, ce Nalbaro que ça s’appelle, mais j’en remangerais bien un bout. Enfin, je crois qu’aucune boulangerie à la capitale en produit.
– Bah t’as qu’à en faire une nouvelle !
– Pff… Tu parles… Mais c’est comme la Dragonnerie ici, c’est pas possible.
– Tu crois pas que c’est ton réalisme trop poussé qui te force à croire qu’on ne peut pas ? Or tu oublies que techniquement, tout est possible. J’ai d’ailleurs eu une discussion sur ça avec L… Lalyby. Elle me disait que si on cherche à être trop réaliste, on oublie l’existence des bonnes options, et si on est trop idéaliste, on ne fait rien de sa vie.
– Oh, je ne la savais pas si philosophe. Tu me rappellera de parler avec elle ?
– Euh… Ou…oui. Bref. Tu montes sur moi ? Il va falloir y aller.”
Comme tout le monde, je monte sur mon dragon, laissant les spectateurs émerveillés pantois. Adelmire crie à tout le monde qu’on va bientôt démarrer, et comme les dragons se prépare, les spectateurs se reculent, je pense qu’ils ont été prévenus par l’un des dragons, et ainsi, comme Adelmire crie qu’on y va, tous les dragons redécollent. Ça doit être un spectacle magnifique d’en bas.
On voyage pendant longtemps au-dessus de ces terres étrangères. Les champs, les forêts, les pâturages et les villages défilent sous nos pieds. Bientôt, on arrivera à notre destination. Bientôt…